 |
 |
Les
professions La dernière édition du magazine L'Agora vient de
paraître. Au sommaire: l'âme des professions, l'histoire des
organisations professionnelles, professions et libéralisation
des échanges, travail et culture de l'urgence, ainsi que les
chroniques de nos collaborateurs habituels.
>>> |
![]() |
Le Québec, ses ressources
et ses réalisations : liens utiles, répertoires, listes
informatisées, l'actualité.
QuebecMonde.com
| |
| |
 |
.gif) |
Grandes questions, L'humain,
Le divin |
 |
.gif) |
 |
.gif) |
 |
Gustave Thibon |
 |
 |
 |
 |
 |
Biographie en
résumé Philosophe
français, récipiendaire du Grand prix de philosophie de L'Académie
française en 2000. Il publiera ses principales oeuvres à partir de
1960: Notre regard qui manque
à la lumière, L'ignorance étoilée, Le voile et le masque, L'illusion
féconde. Sa rencontre avec
Simone Weil aura été l'événement le plus marquant de sa
vie. Il la fit connaître au monde en publiant La pesanteur et la grâce. |
 |
 |
 |
Vie et
oeuvre Thibon ou la
mémoire de l'Occident
Gustave Thibon avait déjà reçu en 1964 le
Grand prix de littérature de L'Académie française. En l'an 2000, la même Académie lui
décernait son Grand prix de philosophie. Si elle a souvent su
prendre ses distances par rapport aux modes et aux goûts du jour, la
vénérable institution n'a pas toujours été prophétique dans ses
choix. Elle l'aura été à la fin du second millénaire. Elle a reconnu
l'homme qui, en France, et osons le dire en Occident, aura le mieux
récapitulé ces deux millénaires de christianisme marqués à l'origine
par les idées grecques et romaines et à la fin, par l'esprit
réducteur de la science moderne.
Une récapitulation est un sommaire. Le mot
synthèse conviendrait peut-être mieux, mais il n'y a chez Thibon
aucune volonté manifeste d'opérer une synthèse. Il est ce qu'il est
et en tant que tel, par son être et par son oeuvre, il résume
admirablement les deux millénaires. Paysan à la fois modeste et
noble, comme on pouvait encore l'être en Provence au début du XXe
siècle, son père cultivait la terre, la poésie et le latin... comme
Virgile. On a beaucoup insisté sur le fait que Thibon a été un
autodidacte. Il aurait peut-être mieux valu mettre l'accent sur le
fait qu'il a, dès son plus jeune âge, reçu ses nourritures
intellectuelles de celui-là même qui lui apportait les nourritures
matérielles. D'où chez lui un naturel dans la pensée et dans le
style qui ferait croire que Platon pensait à lui quand il disait
l'importance du naturel philosophe. "À sept ans, dira-t-il un jour,
je récitais force poèmes de Leconte de Lisle, Hérédia et bien sûr,
Mistral et Aubanel, en provençal." Au même moment, son père écrivait
des vers comme ceux-ci:
Je n'ai plus de regard pour contempler le
monde Tant j'ai cherché mon
âme au-delà de mes yeux.
Une jeunesse aventurière, qui l'aura conduit
de la misère de Londres à celle de l'Italie, lui aura aussi permis
d'apprendre la langue de Shakespeare et celle de Dante, avant de
rencontrer, pendant son service militaire en Afrique du Nord, des
lecteurs de Nietzsche adeptes de la vie dangereuse. C'est à l'étude
des mathématiques, de l'allemand, du latin et du grec ancien qu'il
s'adonnera surtout quand, à vingt-trois ans, il reviendra au mas
familial pour satisfaire un appétit de connaissance qui prenait
désormais le pas sur le goût de l'aventure. Plus tard, il fera la
découverte de la langue et de la culture espagnole, de Lorca et de
saint Jean de la Croix.
À vingt-cinq ans, l'Européen Thibon était
formé. Il n'était pas encore chrétien. Son père l'avait élevé plus
près du Dieu de Hugo que de celui de l'église de Saint-Marcel
d'Ardèche. C'est en Hegel
qu'il trouva son premier guide dans cette recherche de l'absolu qui
ne lui laissera pas plus de répit qu'à Mozart sa musique. S'il eut
des affinités avec toutes les grandes cultures de l'Europe, il
témoigna de tous ses âges par les strates de sa personne. Avec
Sénèque et Marc-Aurèle il poursuivait un dialogue intérieur comme
avec des voisins."Vous êtes Français comme on ne l'est plus depuis
trois siècles" lui avait dit Simone Weil, soulignant par là
l'universalité de sa culture.
Pendant les années d'apprentissage,
l'événement qui l'aura le plus marqué, dans sa vie personnelle comme
dans sa vision du monde, c'est la guerre de 1914-1918. "Comment
pardonner cela à l'humanité? Ce fut la guerre civile dans toute son
horreur, la mise à mort d'un monde pour des raisons dont aucune ne
tenait debout. Toute cette jeunesse sacrifiée! " 1 Cette tuerie insensée l'aura confirmé dans
son rejet du patriotisme idéologique, revanchard, fanatique, fruit à
ses yeux de 1789 et du jacobinisme. Son scepticisme à l'égard de la
démocratie a là aussi ses racines. Les cimetières des villages de
France lui ont enseigné l'horreur de cette démagogie qui devient la
règle dans les démocraties dès qu'elles descendent des hauteurs où
les premiers démocrates grecs les avaient placées. Socrate avait
tiré les mêmes leçons des guerres injustifiées de sa cité.
Le penseur solitaire de
Saint-Marcel devait bientôt être remarqué par Jacques Maritain, qui
fut à l'origine de sa conversion au catholicisme, et plus tard par
Gabriel Marcel qui le persuada de publier Diagnostics et en écrivit la préface. Après leur grand
choix, bien des convertis font preuve d'un zèle excessif, d'une
orthodoxie rigide et d'une soumission peu compatible avec la liberté
dont un penseur ne doit jamais se départir. Thibon demeura toujours
libre, mais en évitant de défier l'Église ; si bien qu'on peut dire
de lui qu'il fut orthodoxe sans l'être, comme plusieurs de ceux qui,
au cours de l'histoire, ont eu une influence positive sur l'Église.
À propos de cette dernière, il dira: "Je ne m'en sépare pas, je m'en
éloigne. Pour mieux la voir. J'emprunte, pour la contempler, le
regard de l'étranger et de l'ennemi. Incapable d'habiter en son
centre comme les saints et las de ramper à sa surface comme les
dévots, je prends du recul. Et plus je m'éloigne, plus je sens, au
fond de moi-même, l'irrésistible pureté de son attraction. De près,
je voyais ses taches: de loin, je ne vois que ses rayons."
2
En raison de la même liberté, il demeurera
enraciné dans son village d'origine, mais pour être plus universel.
Il admirera les traditions locales, mais en se tenant très loin de
tous les fanatismes préposés à leur défense. "Enracinement. - Les plantes sont rivées à un coin du sol.
Problème : comment sauver l'enracinement sans verser dans
l'étroitesse et le fanatisme? L'arbre reçoit sa sève du coin de
terre où il prend racine. Imiter jusqu'au bout l'arbre qui se
nourrit à la fois d'humus et de lumière. Synthèse du particulier
dans ce qu'il a de plus borné et de l'universel ignorant les limites
du temps et du lieu..." 3
Dans la doctrine de l'Église, il attacha tant
d'importance à l'essentiel: l'Incarnation, la mort et l'Amour pour
ce qui est de Dieu; l'union intime de l'âme et du corps et encore
l'amour pour ce qui est de l'homme, qu'il fut enclin à se rapprocher
de ceux qui partageaient ses vues sur cet essentiel sans exiger
d'eux qu'ils adhèrent à ce qui lui paraissait accessoire. Ce qui
explique pourquoi il aura été plus près de Maurras, 4 excommunié, et de Simone Weil, demeurée extérieure à l'Église, que de
Jacques Maritain, gardien de l'orthodoxie. Ce qui explique
aussi pourquoi l'intelligence, nourrie de la science moderne et de
la psychologie de Nietszche, est à l'aise dans son oeuvre, une fois
qu'elle a accepté le caractère ineffable de son mystère central:
l'Incarnation. "La fonction la plus haute de la culture - au sens le
plus large du mot qui inclut les sciences et les techniques - est de
réduire (ne pas confondre avec minimiser) le divin et le sacré à ce
noyau infinitésimal - reflet de l'infini dans le fini - qui, par sa
transcendance même, échappe aux limites de toute culture. "
5
À l'intérieur de l'Église, la préférence de
Thibon ira aux plus désespérés, à Marie Noël par exemple:
"Quel Verbe, si Dieu soit-il, pourra me
rendre Le mot d'amour que
personne ne m'a dit?"
Simone Weil avait écrit peu de temps avant sa
mort, en 1943, que le nettoyage intellectuel du catholicisme n'était pas terminé. Sans
s'aventurer dans le territoire de la théologie, qui n'était pas le
sien, et tout en restant fidèle à lui-même, Thibon , dans ses
dernières oeuvres, apporte un témoignage qui semble destiné à
exaucer les voeux de Simone Weil. Sans sous-estimer, par exemple,
l'importance du merveilleux, il évite de s'appesantir sur ces
miracles qui suggèrent l'idée d'un Dieu intervenant pour briser la
chaîne des causes secondes qu'il a lui-même instituées en créant le
monde. "Toujours ce besoin de révélations, de
miracles, de preuves vécues et presque palpables de la foi. - Je ne
juge pas, je me détourne d'instinct. Je ne peux plus adorer que la
face nocturne et muette de Dieu. Une essence sans impact sur
l'existence - sauf peut-être celui de la nuit totale sur le
clair-obscur de la Caverne. [...] Ma prière n'est pas appel à la
lumière, mais consentement à la nuit : je ne peux plus, je ne veux
plus y mêler mon lâche, mon impur besoin d'assurance et de
consolation. Plutôt me noyer dans un océan sans phare et sans port
que de jeter l'ancre sur un Dieu qui me ressemblerait trop."
6
L'unité du composé humain, aspect de
l'incarnation, sera le centre de gravité de son oeuvre. Le dualisme,
sous une forme ou une autre, est la tentation permanente de l'esprit
humain et le point vers lequel il est emporté à moins qu'un principe
supérieur ne le ramène à l'unité; la matière soumise à l'entropie
tend vers la division, la dispersion. Ainsi en est-il de la pensée.
La vie est néguentropie, elle ramène la matière en dispersion à
l'unité concentrée de chaque être vivant. La même vie dans la pensée
ramène l'homme à son unité, et au moment de l'histoire où elle fut
affirmée le plus clairement: dans la vie du Christ, dans l'oeuvre de
saint Thomas au Moyen Âge, dans celle d'Aristote auparavant. Grand
vivant, Thibon aura toujours eu le souci de tout ramener à l'unité.
Mais attention! Rien n'est plus contraire à l'unité qu'une volonté
trop ferme et trop claire de la faire. " Dans une ténébreuse et
profonde unité" Thibon commente ainsi ce vers de Baudelaire:
"L'utopie, c'est de vouloir réaliser l'unité hors de cette ténèbre
et de cette profondeur, c'est-à-dire dans la clarté et en surface.
Au niveau de la chair et des
passions chez les amants, ou de la révolution sociale chez les
politiques, etc." 7
Pourtant, les deux
pensées qui l'ont le plus marqué, celle de Klages, dans la première
partie de sa vie, et celle de Simone Weil dans la seconde, sont
l'une et l'autre fortement empreintes de dualisme. "Le dualisme de
Klages, confiera-t-il à Philippe Barthelet, a toujours été ma grande
tentation. Et si je n'y ai jamais complètement cédé c'est en raison
de l'impossibilité radicale de tout dualisme: les pères de l'Église
l'ont surabondamment démontré, saint Augustin en particulier, en
reniant l'hérésie manichéenne. Et saint Thomas après eux:
non videntur litigare quae
nihil habent commune: les
choses qui n'ont rien en commun ne se battent pas entre elles. La
lutte suppose en effet une parenté entre les êtres, une même
origine, sans quoi ils coexisteraient dans des mondes différents et
sans rencontre possible. Corollaire du vieux principe pythagoricien:
seul le semblable peut connaître le semblable." 8
À Simone Weil que Thibon hébergea en 1941, et
dont il publia la première oeuvre, La pesanteur et la grâce,de nombreux théologiens reprocheront d'avoir
poussé le dualisme d'inspiration
platonicienne jusqu'au
manichéisme et au catharisme. Même si ce reproche est en grande
partie injustifié, car Simone Weil a été plus près du monisme
stoïcien et spinoziste que du dualisme manichéen, il faut
reconnaître que son ascétisme et l'orientation générale de sa
pensée, platonicienne jusqu'à l'hostilité à l'endroit d'Aristote,
obligeraient à la ranger dans le camp dualiste, s'il fallait faire
un choix.
Le dualisme nietzschéen de
Klages était l'inverse du
dualisme platonicien de Simone Weil. Dans le premier cas, l'Esprit
est la réalité acosmique qui, sous la forme successive de la morale
chrétienne et de la mentalité technicienne, s'attaque à la vie; dans
le second, l'Esprit est la vie elle-même mais une vie menacée dans
sa pureté par son lien avec la matière. Il est étonnant qu'un même
homme ait pu être séduit comme Thibon l'a été par la pensée de
Klages pour ensuite admirer celle de Simone Weil. Un tel écart dans
les adhésions successives est le fait, soit d'un être inconsistant,
soit d'une nature exceptionnellement riche et douée d'un sens de
l'unité proportionnelle à la variété de ses
orientations.
Dans le cas
de Thibon, c'est évidemment la richesse de la nature qui est
l'explication. Et l'altitude de l'esprit. Quand il commente l'oeuvre
de Klages, comme il l'a fait de façon pénétrante dans son premier
livre, La science du
caractère,ou quand il
commente Simone Weil dans ses dernières oeuvres, Thibon se présente
toujours comme le disciple. Il est dans le rôle de Platon, plutôt
que dans celui de Socrate. Et ce n'est pas une attitude de sa part.
Sa capacité d'admirer est telle qu'elle ne laisse aucune place, même
dans la critique, au sentiment d'égalité, encore moins au sentiment
de supériorité. Il n'empêche que lorsqu'on invite Thibon à faire la
part des choses dans le vaste univers de sa pensée et de sa mémoire,
c'est l'altitude et le regard de l'aigle que l'on découvre, même à
l'endroit de ceux qu'il a le plus humblement admirés. Il n'adresse
de reproche à personne, altitude oblige, mais il constate que Klages
a poussé trop loin son dualisme et que Simone Weil a été excessive
dans son rejet total de Nietzsche et de Hugo comme dans sa sévérité
pour les Romains.
Voilà
l'homme qui a bien mérité le Grand prix de philosophie de l'an 2000.
L'oeuvre de Ludwig Klages et celle de Simone Weil sont elles-mêmes
la récapitulation de deux grandes traditions à l'intérieur de la
pensée occidentale. De la première, Thibon aura retenu l'acuité et
la finesse de l'analyse psychologique, grâce à laquelle d'ailleurs,
avec une parfaite assurance, il reconnaîtra l'authenticité chez une
Simone Weil en qui bien d'autres ont vu d'abord une personnalité
névrotique. De la seconde tradition, Thibon aura retenu une pureté
et un dépouillement de la forme qui, dans ses dernières oeuvres,
tempérera une exubérance vitale encore excessive dans
Vous serez comme des
Dieux,l'oeuvre du mi-temps
de sa vie.
Si l'amour
fut son sujet préféré, si l'unité fut son principe directeur, c'est
la mémoire qui est chez lui le premier lieu de cette surabondance,
caractéristique du génie. Chez Descartes, c'est la capacité
d'analyse qui a existé en surabondance; chez saint Thomas, c'est
l'esprit de système et la concentration qu'un tel esprit suppose.
C'est de mémoire que déborde Thibon. Et comme c'est la vie,
conseillée par la mémoire, qui place le bon mot sous la plume au bon
moment, Thibon, qui a été un grand vivant, est aussi un grand
écrivain, ce que l'Académie française a reconnu en 1964.
Plus souvent que chez la
plupart des auteurs, aussi souvent peut-être que chez Montaigne,
avec lequel il partage l'habitude, décriée par les érudits, de citer
de mémoire, c'est le mot d'un autre qui surgit sous la plume de
Thibon. "Il y a des êtres qui ont trop de mémoire pour avoir du
génie". Le plaisir qu'il prenait à citer ce mot de Nietzsche donne
la pleine mesure de sa distance par rapport à son oeuvre.
Thibon connaissait des
milliers de vers dans chacune des langues qu'il maîtrisait, à
l'exception peut-être de l'anglais, langue qui a été trop associée à
des moments difficiles de sa vie pour qu'il ait eu plaisir à la
cultiver ensuite. Dans les autres langues, il était intarissable. À
Florence, on peut lire des passages de la Divine Comédieaux endroits précis évoqués par le poète.
Thibon aurait été le parfait guide touristique dans cette ville, car
il pouvait réciter la suite des vers affichés. L'un des principaux
biographes de Victor Hugo, Alain Decaux, a dit de Thibon qu'il était
celui qui connaissait le mieux l'oeuvre de Hugo. Quiconque a tenté
de prendre la mémoire de Thibon en défaut à ce sujet donnera raison
sans hésiter à Alain Decaux. S'il y a un paradis pour les poètes, il
consistera pour l'auteur de La légende des siècles,à demander à Gustave Thibon, qui fut le
voisin et l'ami de son arrière petit-fils, le peintre Jean Hugo, de
lui réciter son oeuvre poétique.
Il existe des mémoires torrentielles qui
retiennent les scories et les perles indistinctement. La mémoire de
Thibon était au contraire extrêmement sélective. On était à ce point
frappé par l'originalité des pensées et des vers dont ses propos
étaient émaillés qu'on en venait à la conclusion que les souvenirs
chez lui étaient les prolongements de profonds éblouissements, "Vous
avez le génie du génie", lui a dit un jour une amie.
"Ce n'est pas un grand
philosophe, s'est exclamé un voisin que j'avais invité à une
conférence de Thibon: j'ai compris tout ce qu'il disait." Là où tant
d'auteurs troublent leurs eaux pour les faire paraître profondes,
Thibon laisse reposer les siennes pour en dissimuler la profondeur
aux importuns, la réservant aux bonnes natures qui, dans les choses
de l'esprit, cherchent une nourriture pour leur âme plutôt qu'un
excitant pour leur intellect.
On lit Thibon pour en vivre et parce qu'on
l'aime tout en se sentant aimé de lui, ou on se détourne de lui avec
indifférence ou mépris. En dépit des silences officiels qu'on a fait
peser sur son oeuvre, il a toujours eu un large public fidèle; à
l'exception du monde universitaire qui ne l'a pas reconnu, sauf en
de rares circonstances, comme lors du second millénaire de la mort
de Sénèque, à Cordoue en 1965.
"La perte de l'âme est indolore." "Il faut
transformer l'échec en épreuve" . Les pensées de cet ordre, de
l'ordre de celles qui ont fait la gloire de Marc-Aurèle et de Pascal, sont l'une des marques de Thibon. Par
d'autres pensées, il s'apparente à Nietzsche: "Toute ascension se nourrit d'une douleur
dépassée, monter, c'est surmonter." Comment peut-il rester lui-même
après avoir eu un rapport si intime avec des génies si différents?
Et pourtant il reste lui-même tant son identité est forte jusque
dans sa façon inimitable de souligner un passage dans un livre.
Quand il a aborde ses sujets de prédilection, l'amour et "la pitié
pour le Dieu souffrant et voilé" et quand dans ces sujets il atteint
un sommet où nul auteur du passé ne peut l'égaler, il devient
évident que sa prodigieuse mémoire l'avait préparé à voler mieux que
quiconque de ses propres ailes. Le don de reconnaître le génie des
autres est aussi le meilleur moyen de libérer le sien dans ce qu'il
a de plus pur. "Tout ce qui n'est pas de l'éternité retrouvée est du
temps perdu." Et ailleurs: "les contacts avec le divin sont comme
des trouées de l'éternel dans la durée. Éphémères comme les sauts
d'un poisson hors de l'eau, son élément, mais laissant à jamais dans
l'âme la nostalgie d'un monde irrespirable à force de pureté."
9
Thibon a surtout écrit des
aphorismes. Ce genre qui semble facile, combiné avec un
style lui-même dénué de tout artifice savant, aura contribué à
éloigner de lui quelques lecteurs sérieux qui ont peine à distinguer
les belles formules inspirées des jeux de mots plus ou moins
mécaniques. Mais s'ils veulent bien poursuivre leur incursion dans
l'oeuvre de Thibon, ils découvriront que ses aphorismes ne sont pas
des atomes libres mais des cellules appartenant à un organisme dont
l'unité est manifeste. Dans les aphorismes psychologiques, ils
retrouveront le Thibon admirateur de Klages, dans les propos sur les
invariants, ils retrouveront le disciple de Platon. Ce mot de Hugo
sur la poésie, souvent cité par Thibon lui-même, s'applique
parfaitement bien à son oeuvre."Comme la mer, la poésie dit chaque
jour tout ce qu'elle a à dire, puis elle recommence avec cette
variété inépuisable qui n'appartient qu'à l'unité." .
Vous rêviez d'une somme
philosophique et poétique des deux derniers millénaires, voire des
trois derniers. Elle existe grâce à la mémoire d'un homme. L'oeuvre
de Gustave Thibon est une merveilleuse et inimitable anthologie de
tout ce qui a pu être dit en Occident sur les choses qui importent
le plus aux mortels assoiffés d'immortalité: l'amour, la souffrance,
la mort, Dieu, la beauté, la sagesse, la cité, le sens de la vie, le
progrès. Et Thibon n'est pas un collectionneur de citations, c'est
un semeur de formules inspirées. Sa somme n'est pas une addition
mais un microcosme où les pensées du maître occupent leur juste
place à côté de celles de ses nombreux maîtres, elles-mêmes
subtilement hiérarchisées.
L'oeuvre de Thibon est la soeur jumelle et le
complément de celle de Simone Weil, laquelle fait une plus large
place à l'Orient. Réunies, ces deux oeuvres constituent une somme
complète dont on peut prédire qu'elle vivra ou sera oubliée selon
que l'homme choisira de rester homme ou de devenir cyborg,
(1) Philippe Barthelet,
Entretiens avec
Gustave Thibon, La Place Royale,
p. 36 (2)
L'ignorance
étoilée, p.
1. (3) L'illusion féconde, p. 33. (4) Chez Maurras c'est le poète
mystique qu'il aima surtout: J'ai renversé la manoeuvre du monde, Et l'ai soumise à la loi de mon
coeur. (5) Le voile et
le masque, p. 125
(6) Le voile et le masque, p. 12 (7) Le voile et le masque, p. 197 (8) Philippe Barthelet,
ibidem (9)
L'illusion
féconde, p. 117 |
 |
 |
 |
 |
 |
Oeuvres
de Gustave Thibon Livres
La science du caractère. Paris, Desclée de Brouwer,
1934.
Poèmes. Bruxelles, L'Édition universelle,
1940.
Destin de
l'homme. Édité et présenté
par Marcel de Corte. Paris, Desclée de Brouwer,
1941.
L'Échelle de
Jacob. Lyon, Lardanchet,
1942.
Le Pain de
chaque jour. Monaco,
Éditions du Rocher, 1945.
Retour au réel. Lyon, Lardanchet,
1946.
Offrande du
soir. Lyon, Lardanchet
1946.
Chateaubriand. Présentation et choix de textes par G.
Thibon. Monaco, Éditions du Rocher, 1948.
Nietzsche ou le déclin de
l'esprit. Lyon, Lardanchet,
1948. Réédition: Fayard, 1975.
Paysages du Vivarais. Paris, Plon, 1949.
La crise moderne de l'amour. Paris, Éditions Universitaires,
1953.
Diagnostics. Essai de physiologie sociale. Paris, Librairie de Médicis, 1953.
Réédition: Fayard, 1985.
Vous serez comme des dieux. Paris, Fayard, 1959.
Ce que Dieu a uni. Paris, Fayard, 1967.
L'ignorance étoilée. Paris, Fayard, 1974.
Notre regard qui manque à la
lumière. Paris, Fayard,
1975.
L'équilibre et
l'harmonie. Paris, Fayard,
1976.
Le voile et le
masque. Paris, Fayard,
1985.
Au soir de ma
vie, mémoires. Paris, Plon,
1993.
L'illusion
féconde. Paris, Fayard,
1995.
Articles,
préfaces et autres écrits
« À propos de trois récents ouvrages de
Maritain », Revue
thomiste, 38e année, t. XVI,
1933. |
 |
Documentation Barthelet, Philippe. Entretiens avec Gustave
Thibon. Paris, La Place
royale, 1988.
Chabanis,
Christian. Gustave Thibon:
Témoin de la lumière. Paris,
Beauchesne, 1967.
Gustave Thibon. Introduction et choix de textes par l'abbé
Benoît Lemaire. Montréal, Fides, 2004. Collection « L'expérience de
Dieu ».
Lemaire, Benoît.
L'espérance sans illusions.
L'espérance chrétienne dans la perspective de Gustave Thibon.
Montréal, Éd. Paulines.
1980.
Massis, Henri.
Au long d'une vie. Le message
de Gustave Thibon. Paris,
Plon, 1967. |
 |
.gif) |
 |
 |
 |
 |
 |
.gif) |
Documents associés |
.gif) |
L'espérance
sans illusion, chapitre 1 Benoît
Lemaire
Genre de texte: Livre Secteur:
Croyances Discipline: Théologie
|
Sujet: Chrétien, foi chrétienne, désir de
Dieu
Extrait: La foi de Thibon est celle
du paysan: tout à la fois sensible, réaliste et
absolue.
|
| |
|
.gif) |
|
 | |
Date de
naissance 2
septembre 1903 Lieu de naissance Saint-Marcel d'Ardèche,
France |
Date de décès 19 janvier 2001 Lieu de décès Saint-Marcel d'Ardèche,
France |
 | |